Martignon, la relève est assurée !
Anne-Flore Martignon et son père Thierry, petit négociant du Cher, tiennent bon face aux mastodontes du secteur. Décryptage de leur réussite.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
« A trente ans, ce serait dommage de ne pas avoir de projets ! » Avec son enthousiasme et la fougue de la jeunesse, Anne-Flore Martignon dirige, avec son père Thierry, les établissements éponymes. Installés au nord du Cher, à Vailly-sur-Sauldre, ils représentent un des derniers négoces, 100 % en actionnariat privé, du département. Ils rayonnent sur environ 80 km autour du siège social. Pour des raisons historiques, Martignon est également implanté dans la Nièvre, autour d'Alligny-Cosne. « Mon grand-père était originaire de là-bas. Lorsque mon père a repris l'entreprise en 1989, nous avons gardé nos clients qui nous faisaient confiance », explique Anne-Flore Martignon. Il y a trois ans, elle décide d'apporter son expertise et ses idées à l'entreprise. Titulaire d'un diplôme de biochimie et d'une école de management, Anne-Flore travaille alors dans une agence de communication et de marketing. « J'habitais à Paris, avec un mode de vie différent de celui d'ici... Mais c'était le moment ou jamais de revenir dans ce petit village de 800 habitants. Cela m'aurait embêté qu'il n'y ait pas de Martignon pour faire évoluer ce que notre famille a bâti depuis trois générations. »
Se concentrer sur les céréales
Aînée d'une fratrie de trois enfants, Anne-Flore a été baignée dans la culture agricole et se forme au métier de négociant sur le tas. « Lors de ma première moisson, les taux de Hagberg étaient très bas. L'année dernière, les prix s'effondraient. Et cette année, nous avons 50 % de volume en moins. Le terrain est une bonne formation », lance la jeune femme, qui est membre du club des jeunes dirigeants mis en place par Négoce expansion.
En 1962, il existait trente-deux négoces dans le Cher. Aujourd'hui, il n'en reste que trois, concurrencés par Axéréal et Soufflet. Comment Martignon a-t-il résisté à cette restructuration ? Thierry Martignon répond sans hésiter. « Il vaut mieux un petit chez soi qu'un grand chez les autres. Nous avons toujours souhaité être indépendants et nous nous sommes concentrés sur notre coeur de cible : les céréales. Notre petite taille est notre force. Avec quinze salariés pour 15 M€ de chiffre d'affaires, les effectifs sont réduits. Nous n'avons pas à rougir de notre résultat net. » La proximité et la réactivité sont également des atouts du négociant, comme le souligne Anne-Flore : « Nous sommes plus ancrés à notre territoire que certaines grandes coopératives... »
Des cultures de niche
Proche de Sancerre, Martignon aurait pu développer la viticulture ou bien la vente de combustible... Mais il a préféré se concentrer sur la vente de céréales qui représente presque 60 % de son chiffre d'affaires. Chaque année, il collecte entre 30 000 et 40 000 t de céréales. Et ses débouchés sont... ses principaux concurrents ! Les deux tiers des 20 000 t de blé collectées partent en alimentation animale, essentiellement chez Sanders nutrition. 30 % sont vendues en blé meunier, à Axiane, filiale d'Axéréal et en Italie. Les oléoprotéagineux, environ 3 000 t de colza et de tournesol par an, sont transformés en huile à l'usine de trituration du Mériot (Aube) ou partent vers les ports de L a Pallice ou de Rouen. Les 7 000 t d'orges récoltées annuellement sont valorisées en filière brassicole à 70 %. Elles sont par exemple vendues à Boortmalt, une autre filiale d'Axéréal. Mais les Martignons travaillent également avec Vivescia ou les malteries Soufflet. « Il faut faire fi de la concurrence que l'on se livre sur le terrain », juge Thierry Martignon, responsable de la commercialisation des céréales.
Grâce à deux silos dotés d'une quarantaine de cellules, Martignon propose à ses clients des cultures de niche, comme le lin, le maïs, le sarrasin, le blé blanc pour l'oisellerie ou du millet. Il joue aussi les intermédiaires entre le semencier Jouffray Drillaud et les agriculteurs, pour des contrats de multiplications de semences de trèfle, seigle ou luzerne. « Nous n'avons pas de marges de manoeuvre sur le prix. Mais ces contrats nous permettent de fidéliser nos clients polyculteurs-éleveurs qui recherchent des contrats annuels », souligne Thierry Martignon, avant d'ajouter. « Les débouchés ne sont pas simples à trouver. Il faut de la réactivité et un certain savoir-faire terrain pour y arriver. » Pour approvisionner ses clients en semences, le négoce du Cher se fournit également chez ses concurrents : la coopérative Caproga (Loiret), Actisem ou encore Semences de France.
De l'expertise terrain
Pour les produits phytosanitaires, elle fait appel au groupement Actura, fusion de D'Clic et Agridis, comme le souligne le jeune responsable des approvisionnements de 29 ans, Fabien Deguenand : « Cette première année avec ce grand réseau a été intéressante. L'organisation logistique a permis une amélioration dans le développement de notre distribution. Le réseau technique d'Actura, Etamines, favorise l'échange des résultats d'essais entre négoces. » Pour répondre aux problématiques du secteur, les établissements Martignon mettent en place des essais variétaux (céréales, colza, maïs...) et profitent des résultats de l'ensemble des adhérents. Le négociant a également opté pour l'application Olympe parcelle pour les préconisations aux agriculteurs. A la fin de l'année, il mettra en place Olympe ferti pour les plans de fumure.
Le changement en douceur
Dernière activité, depuis une quinzaine d'années, les établissements Martignon proposent du triage de semences à façon, avec un trieur qui se déplace de ferme en ferme. Malgré sa forte volonté à faire avancer sa petite entreprise, Anne-Flore Martignon prend son temps pour insuffler une nouvelle dynamique dans l'entreprise familiale. « Une des règles du management est d'y aller doucement. Je n'ai rien changé la première année. Peu à peu, je mets des choses en place, en informatique par exemple, pour avoir des résultats dans cinq ans. Les salariés m'ont vu naître. Ce n'est pas moi qui vais leur apprendre leur métier ! » La jeune femme est bien consciente des difficultés auxquelles elle devra faire face. Surtout cette année ! « Avec 40 à 50 % de moins de rendement, nous sommes fortement touchés par la mauvaise moisson. Nous allons devoir repousser quelques-uns de nos projets. » En effet, selon les premières estimations, il devrait manquer environ 500 €/ha aux agriculteurs du secteur. « Cette dette culture va être reportée soit sur la banque, soit sur nous. Nous prévoyons d'avoir environ 2 M€ de retard de paiement. Cela pèsera sur notre trésorerie. Nous pourrons le supporter un an, mais pas deux. Il faut que les banques jouent leur rôle. Pour l'instant, tout le monde est avec nous, mais on ne voit rien venir », ajoute Thierry Martignon.
Plusieurs projets à venir
Parmi les futurs projets, le négoce prévoit de construire une zone de stockage pour la centaine de clients de la Nièvre. « Nous ne souhaitons pas nous développer de façon anarchique. Juste conforter cette zone », ajoute Anne-Flore Martignon. L'entreprise envisage aussi de revoir sa communication visuelle, de rénover son site internet pour proposer de la commercialisation en ligne, d'accompagner les agriculteurs vers l'agro-écologie... Et pourquoi pas se lancer dans l'aventure de la méthanisation ? C'est sûr, les projets ne manquent pas !
Aude Richard
Pour accéder à l'ensembles nos offres :